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Sornfelli
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Îles Féroé furent occupées par la Grande-Bretagne. Les Britanniques construisent un aéroport militaire à Sørvágur sur l’île de Vágar ainsi que plusieurs stations radar tout autour de nos îles pour surveiller la mer et l’espace aérien proches.
Le 60ème anniversaire de la mise en service de la base radar de SornfelliLes stations radar des îles Féroé jouèrent un rôle important pour les convois d’approvisionnement de l’Arctique qui transportaient notamment du matériel de guerre américain vers les ports soviétiques des villes portuaires de Mourmansk et d’Arkhangelsk.
Les Britanniques placèrent également une station dite Loran (Long Range Navigation = Navigation longue portée) à Vágur sur l’île de Suðuroy afin de disposer d’une navigation plus précise en mer et dans les airs.
Après la guerre, le Danemark retrouva sa souveraineté sur les Îles Féroé et le Groenland (l’Islande s’était séparée du royaume danois en 1944). Les États-Unis proposèrent de manière intéressée de reprendre la gestion de la station LORAN aux Îles Féroé, mais le Danemark refusa suite à de mauvaises expériences avec des accords qui lui étaient défavorables, concernant la présence militaire américaine au Groenland. Et c’est ainsi que le Danemark décida en toute urgence d’assurer lui-même la gestion de la station en 1946, bien que ne disposant pas de personnel qualifié.
Le référendum de 1946 et la loi de 1948 sur le gouvernement territorial des Îles FéroéLe Danemark reconnut que la séparation durant la guerre avait modifié les relations entre le Danemark et les Îles Féroé. Pendant les cinq années de l’occupation britannique, le souhait d’une plus grande indépendance vis-à-vis du Danemark avait crû, et juste après la guerre des négociations furent entamées sur le futur statut de notre archipel au sein du royaume danois et sur nos pouvoirs politiques. Mais les négociations s’éternisèrent sans parvenir à un accord. Même parmi les Féroïens il y avait des désaccords. Le Danemark formula donc une proposition d’autonomie qui fut soumise au Løgting (le parlement féroïen).Mais un accord ne fut toujours pas trouvé. Le parlement féroïen organisa donc un référendum en 1946 pour savoir si les Féroïens souhaitaient une autonomie élargie ou un détachement total du Danemark. Le vote donna une légère majorité en faveur de la sécession, mais il fut rapidement annulé par le gouvernement danois. A la place, la loi sur le gouvernement territorial fut introduite en 1948 et accorda des pouvoirs élargis aux parlement et gouvernement féroïens.
Lorsque le Danemark rejoignit l’alliance de défense de l’OTAN en 1949, les Îles Féroé et le Groenland devinrent automatiquement membres. Cela provoqua un certain mécontentement aux Îles Féroé. Mais en réponse à une question du député féroïen Poul Niclassen sur la violation de l’obligation de renvoi préjudiciel du gouvernement danois vis-à-vis du Løgting pour les accords intergouvernementaux concernant les Îles Féroé, le Premier ministre danois, Hans Hedtoft, répondit qu’il s’agissait là d’un traité politique qui ne relevait pas de l’obligation de renvoi préjudiciel, comme précisé dans la loi sur l’autonomie.
Le Danemark ne disposait pourtant pas des ressources militaires nécessaires pour défendre efficacement ses territoires dans l’Atlantique Nord, et c’est ainsi que la défense des Îles Féroé et du Groenland fut placée sous la responsabilité du SACLANT, le commandement atlantique de l’OTAN aux États-Unis. Cela veut dire qu’en cas de guerre, c’étaient les forces britanniques qui défendraient les Îles Féroé.
Le commandement des Îles Féroé
En 1951, la marine danoise créa le District naval des Îles Féroé, appelé par la suite Commandement des Îles Féroé, afin d’assurer le respect de sa souveraineté, l’inspection de la pêche et les missions de sauvetage.
Ces tâches furent initialement exécutées avec des navires existants, mais en 1963 la marine reçut une nouvelle génération de navires d’inspection de la classe White Bear, construits spécialement pour les conditions difficiles dans l’Atlantique Nord, et équipés d’hélicoptères Alouette. En même temps, une nouvelle station navale fut construite à Hoyvíkstjørn, dans la banlieue de Tórshavn, et mise en service en 1965.
Au début, l’OTAN porta peu d’intérêt aux Îles Féroé. Les avions de l’OTAN disposaient de l’aéroport de Vágar en cas d’atterrissages d’urgence et du grand fjord de Skálafjørður comme port de mouillage pour les navires et les sous-marins de l’OTAN en cas de guerre.
Loran C et les missiles Polaris
Au cours des années 1950 et avec les avancées technologiques de la guerre froide, l’importance stratégique et tactique des Îles Féroé changea à cause de son emplacement au milieu de l’Atlantique Nord, entre les deux principaux acteurs de la guerre froide : les États-Unis et l’Union soviétique. Le jeu de pouvoir des superpuissances se déroula à plusieurs niveaux : sur terre, en mer et dans les airs. L’augmentation du trafic militaire exigeait une coordination et des repères de position précis, et c’est ainsi qu’à la fin des années 1950, les garde-côtes américains déployèrent 30 radiobalises Loran C. L’une d’elles, située à l’extrémité nord de l’île d’Eysturoy, était la station Loran C d’Eiði, entrée en service en 1960. Elle fut installée avec l’autorisation du gouvernement danois, payée par les garde-côtes américains et exploitée par le service des phares danois.La station Loran C à Eiði était, avec son mât d’émission de 190 m de haut, une station dite maîtresse, soutenue par des stations dites esclaves tout autour de l’Atlantique Nord. Elle permettait d’améliorer considérablement la navigation et la détermination de positions des unités navales de l’OTAN, comme par exemple les porte-avions, les sous-marins et les avions militaires. Ce système était particulièrement important pour la première génération de missiles nucléaires Polaris lancés par sous-marin et dont la portée limitée signifiait que les sous-marins devaient opérer en mer de Norvège pour que les missiles puissent atteindre leurs cibles en Union soviétique.
L’importance militaire des Loran C fut cependant rapidement dépassée par les avancées techniques. Les systèmes de navigation améliorés, la navigation par satellite, y compris le prédécesseur militaire de nos GPS actuels, furent rapidement encore plus précis. De plus, les nouvelles générations de missiles Polaris virent leur portée doublée, ce qui permettait aux sous-marins Polaris d’opérer à des distances plus importantes que la mer de Norvège.
La station radar de Sornfelli
En 1963, les Féroïens purent constater que la montagne Sornfelli qui domine le fond du fjord de Kaldbak au nord de Tórshavn avait été coiffée de deux étranges dômes blancs. Après trois ans de construction, la station radar de Sornfelli, officiellement baptisée « NATO Early Warning Station Site 09 », était enfin achevée.
Dans le premier dôme se trouvait un grand radar horizontal, et dans le deuxième un radar vertical de la même taille. À 80 m de la montagne avait été foré un bunker opérationnel, avec un puits menant aux deux radars qui envoyaient conjointement aux opérateurs radar une image tridimensionnelle des eaux et de l’espace aérien de l’Atlantique Nord.
Plus bas, sur le flanc de la montagne, dans la vallée de Mjørkadalur (la vallée des brouillards) et au-dessus de Kaldbaksbotnur, un bâtiment administratif et d’hébergement fut achevé en 1964. Il s’appelait Base aérienne Thorshavn et était rattaché à l’armée de l’air danoise qui exploitait les installations de la base de Sornfelli. L’accord avec l’OTAN prévoyait que le personnel, les opérateurs radar, les techniciens et le personnel de service soient danois, bien que la station radar soit un projet de l’OTAN. Pour des raisons impénétrables, le gouvernement danois pensait peut-être que cela rendrait la présence de la base radar plus digeste pour la population locale.
Early Warning (alerte précoce) – mais pour qui ?
D’après la littérature disponible au sujet de la station radar de Sornfelli, il semblerait qu’elle fut une extension de la chaîne américano-canadienne DEW (Distant Early Warning) qui devait alerter les États-Unis en cas d’attaques de bombardiers soviétiques. Toutefois, dans un article paru dans « Internasjonal Politik - Skandinavisk tidsskrift for internasjonale studier », de septembre 2020, l’analyste militaire Esben Salling Larsen de l’Académie de la Défense danoise souligne que ce n’était pas forcément le cas.Salling démontre que selon les sources américaines au sujet de la ligne DEW, Sornfelli n’est pas mentionnée comme en faisant partie. De 1961 à 65, le réseau DEW fut étendu avec une présence permanente de quatre navires de guerre équipés de radars et de quatre avions de surveillance radar dans la ligne GIUK qui allait du Groenland à l’Écosse en passant par l’Islande. Sornfelli ne faisait visiblement pas partie de cette extension.M. Salling démontre ensuite que selon les sources de l’OTAN, la station radar avait été construite dans le cadre du « Air Defence Ground Environment » (NADGE) de l’OTAN, une chaîne de radars de surveillance de l’espace aérien et de stations de contrôle installée le long de la frontière extérieure de l’OTAN avec l’Union soviétique depuis la Norvège jusqu’à la Turquie. Dans cette extension du réseau d’alerte de l’OTAN, la station de Sornfelli fut l’une des premières construite.
En même temps, l’espace aérien des Îles Féroé fut été repris par le commandement suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) de l’OTAN, tandis que le commandement suprême des forces alliées de l’Atlantique (SACLANT) maintint sa responsabilité maritime autour des Îles Féroé.
La station radar de Sornfelli faisait donc partie de la défense navale et aérienne de l’Europe qui devait soutenir la lutte anti-sous-marins, ainsi que la lutte contre les navires de surface et les forces aériennes soviétiques protégeant les sous-marins. Elle devait également surveiller les éventuels missiles de croisière et les missiles navals à basse altitude qui menaceraient les navires et les avions de l’OTAN. Après avoir été dotée d’un nouveau radar tridimensionnel dans les années 1980 et de la capacité à recevoir et à relayer les images des avions radar de l’OTAN, la station pouvait maintenant détecter les missiles passant sous la hauteur du radar. Ce faisant, la station est devenue un élément essentiel de la guerre électronique et elle pouvait, en tant qu’élément de la chaîne NADGE, soutenir des opérations tactiques de haute priorité selon les dires de Salling.
Dans les années 1990 la guerre froide semblait toucher à sa fin et la station radar de Sornfelli fut désaffectée en 2007.
Cependant, il y a des projets pour la rouvrir - mais ça, c’est une autre histoire.
Anker Eli Petersen
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